Logiques Publiques
préserver la démocratie avec le vote électronique

Préserver la démocratie durant les pandémies

Se rassurer à court terme ou opter pour une solution viable sur le long terme ?

Depuis la pandémie du COVID-19, de nombreux pays se demandent s’ils doivent reporter leurs prochaines élections ou les maintenir. Si les gouvernements décident finalement d’organiser les élections dans les mois à venir, trois principaux scénarios se présentent à eux :

  • Maintenir le système existant dans des conditions d’hygiène renforcées ;

ou chercher des alternatives parmi les canaux de vote à distance qui pourraient garantir la distanciation sociale, à savoir,

  • soit le vote postal,
  • soit le vote par internet.

Scénario 1 : Maintenir le système existant dans des conditions d’hygiène renforcées

Tout le dilemme de ce scénario consiste à obtenir un taux de participation normal au scrutin électoral. Pour ce faire, un certain nombre de mesures de précaution doivent être rendues obligatoires, à l’instar de l’éloignement social, de la présence obligatoire de désinfectant pour les mains, de l’affectation d’équipes spécialisées pour s’occuper des groupes les plus vulnérables ou encore de l’obligation pour les électeurs de se présenter avec leurs propres stylos au bureau de vote.

Bien que cette option soit la plus simple des trois citées plus haut à déployer pour les administrations électorales, elle comporte néanmoins deux risques majeurs :

  • Le maintien d’élections dans cette configuration pourrait avoir pour conséquence l’augmentation du nombre d’infections dans la population en raison de la proximité des électeurs au sein des bureaux de vote, dans des environnements fermés, et ce malgré les mesures de distanciation imposées ;
  • Une participation électorale en baisse. Les réticences supposées de se rendre aux urnes toucheraient particulièrement les groupes vulnérables (les électeurs plus âgés dans le cas de COVID-19). Elles pourraient déséquilibrer les résultats du vote final.

Scénario 2 : Le vote par correspondance

Le passage au vote par correspondance réduirait les risques de contamination des électeurs et des membres des bureaux de vote, mais il pourrait exposer les personnels de La Poste à un risque supplémentaire, compte tenu de la charge de travail accrue qu’entraînerait une élection intégralement organisée par correspondance.

Par ailleurs, ce scénario repose sur l’hypothèse que les services postaux fonctionnent normalement durant la pandémie, et que les bulletins de vote soient distribués sans difficultés majeures aux électeurs sur le territoire national qu’à l’étranger.

Autre élément, la mise en œuvre de ce scénario nécessiterait des modifications du code électoral et une évaluation approfondie de la capacité des services postaux à faire face à une telle tâche. Cela nécessite du temps : certains pays ont connu des débats juridiques qui ont duré des années (Autriche, 30 années), ou ont mis 30 ans à mettre en œuvre les nouvelles modalités électorales de vote (Suisse). En outre, étant donné que le vote par correspondance se déroule dans un environnement non contrôlé, « l’achat des votes » et la coercition des électeurs sont des pratiques extrêmement redoutées par les gouvernements qui peuvent difficilement garantir à 100% l’absence de recours à de telles pratiques. Certains éléments de procédure, à l’instar de l’obligation de signature par des témoins (Finlande ; États-Unis – Wisconsin), permettent toutefois d’atténuer ces risques et de renforcer la fiabilité de la procédure.

La mise en place du vote par correspondance nécessiterait la formation à grande échelle des personnels chargés de l’organisation des élections au sein des circonscriptions et la mise à disposition de ressources supplémentaires afin de procéder notamment au décachetage des enveloppes contenant les votes.

Les défis à relever pour la mise en œuvre de cette procédure à plus large échelle seraient de plusieurs ordres : la disponibilité des listes électorales actualisées avec les adresses postales des électeurs, le risque d’erreurs dans l’envoi des matériels de vote, le vol des matériels de vote (privation du droit de vote) et les possibles retards dans l’envoi des bulletins de vote par correspondance.

Il existe peu de recherches sur les coûts d’administration réels des élections organisées par voie postale. Mais d’après certains gouvernements, les élections par correspondance seraient plus coûteuses que les élections traditionnelles (Royaume-Uni).

Scénario 3 : le vote par internet

Notre troisième scénario serait de tenir les élections en utilisant le canal de vote à distance via Internet. Le vote électronique à distance a été mis en œuvre pour la première fois dans les années 1990. Bien qu’il soit promis à un grand avenir, il a jusqu’à présent été généralement réservé aux organismes privés. Outre son utilisation limitée à certains pays (Canada, Australie, Suisse, Norvège), seule l’Estonie se distingue dans le recours à ce mode de vote, où Internet est considéré comme un canal de vote viable pour toutes les élections.

Le vote par Internet présente des difficultés communes à celles rencontrées avec le vote par correspondance, s’agissant notamment de la possible coercition des électeurs et de l’achat des votes. Toutefois, dans le cas estonien, il est permis aux électeurs de voter par voie électronique aussi souvent qu’ils le souhaitent durant une période donnée précédant le jour de la tenue des élections, sachant que seul le dernier vote sera retenu lors du dépouillement.

Le vote par Internet résout également les problèmes liés à la distribution postale, car les transactions numériques fournissent automatiquement une confirmation de la réception d’un vote. Bien que les projets informatiques soient souvent lourds et complexes à mettre en oeuvre, le vote par Internet serait au final moins onéreux que les autres canaux de vote.

Un autre défi important ne doit pas être négligé : le vote par Internet ne peut pas être facilement intégré dans le code électoral actuel, car la législation est souvent prescriptive, et elle repose sur la présence de bulletins de votes en papier.

Basculer vers le vote électronique nécessiterait du temps. Outre le temps nécessaire à la rédaction et à la révision du code électoral, un consensus politique doit être trouvé entre le Gouvernement et les partis politiques. Par ailleurs, toute rédaction de texte sur la mise en place d’élections par voie électronique nécessite de s’interroger sur les mesures à prendre en matière de technologie : rédiger un texte neutre sur le plan technologique ( ?) ou affiner le texte une fois le système technique choisi ( ?). Enfin, conformément aux recommandations de la Commission de Venise[1], toute modification du cadre électoral doit être conclue au moins 12 mois avant le jour prévu pour les élections.

Quelles voies à suivre pour éviter que la pandémie ne prenne le pas sur la démocratie ? :

Le COVID-19 a placé les élections entre le marteau et l’enclume : il n’y a pas de solution miracle pour relever ce défi.

La solution rassurante

La manière la plus rapide d’organiser les élections en période de pandémie consiste à établir des mesures d’hygiène très strictes afin de créer les conditions d’organisation les plus normales possibles du scrutin. L’objectif étant d’éviter d’avoir à repousser ou à annuler les élections. Cette option peut avoir les faveurs du ministère de l’Intérieur à court terme, mais nécessite de prévoir des mesures supplémentaires et de faire face à des impacts incertains (reprise de l’épidémie impliquant des mesures sanitaires plus strictes ? niveau de participation électorale ? augmentation du nombre de contaminations au sortir du scrutin ?…).

La mauvaise option à court terme

L’introduction du vote par correspondance nécessiterait la mobilisation de ressources plus importantes, une révision très rapide du code électoral, ainsi que la transformation des processus administratifs d’organisation des élections. Même s’il s’agit là d’une mauvaise option à court terme, cette solution peut s’avérer adéquate à plus long terme pour maintenir le fonctionnement des systèmes électoraux.

Internet : une voie de sortie à long terme

La mise en place d’un système de vote à distance par Internet est clairement une option irréalisable à court terme. Elle représente cependant la bonne réponse pour envisager une solution durable dans l’organisation des élections à venir. Le vote par Internet est sans danger pour les participants. Il atténue les effets d’une faible participation électorale, mais nécessite des adaptations du code électoral, une réorganisation des process du Ministère de l’Intérieur et surtout, la mise en place de systèmes techniques sûrs et fiables.

Ces éléments signifient que le vote électronique ne peut pas apporter une réponse rapide à la pandémie actuelle. Il fournit cependant des solutions pour la gestion de crises futures. Pour adopter l’un ou l’autre des deux modes de vote à distance envisagés ici, de nombreux pays n’auraient pas besoin de repartir de zéro, puisque des discussions, des essais et des développements ont déjà eu lieu dans le domaine du vote par correspondance et par internet.

Robert Krimmer,

Professeur à l’Université de technologie de Tallinn, École de commerce et de gouvernance, Département Ragnar Nurkse de l’innovation et de la gouvernance, professeur de gouvernance électronique


[1] Organe consultatif du Conseil de l’Europe composé d’experts indépendants en droit constitutionnel